« Gourou » est un mot qui fait peur a plus d’un titre mais « gourou en informatique » a une signification différente dans le monde de l’informatique. Le mot « gourou », en informatique, désigne ces pionniers, ces êtres préhistoriques à l’origine de tout. Richard Matthew Stallman, alias rms, est un de ces êtres mythiques qui ont peuplé le monde aux origines du monde de l’informatique. Ce nom est quelquefois bien connu par les « anciens » informaticiens, adeptes de Linux, de GNU et des logiciels libres. Mais les plus jeunes le connaissent très peu, mal ou pas du tout. Ils préfèrent aduler un de ces requins milliardaires et mégalomanes comme Mark Zuckerberg, Jeff Bezos, Elon Musk, Bill Gates, Steve Jobs ou encore Sundar Pichai.

Ces requins étaient d’ailleurs presque tous présents à la cérémonie d’inauguration de Donald Trump en janvier 2025.
rms, fondateur de la FSF
En 1985, Richard Stallman a fondé la Free Software Foundation (FSF), un organisme légendaire sans lequel notre monde numérique serait totalement différent. Un monde où l’informatique resterait un grand mystère fermé et où les firmes créatrices de logiciels auraient un pouvoir et une emprise sans précédent. Mais pour comprendre cela, il faut comprendre les motivations de ce personnage très particulier, adorateur de la liberté, et prêt à tout pour ne jamais la sacrifier au profit de la cupidité.
Un résumé rapide de son histoire
La vidéo ci-dessous reprend rapidement l’histoire de rms depuis ses débuts jusqu’à son détrônement.
Ce que l’on peut avant tout retenir de cette vidéo est que Richard Stallman aime son métier, la science, la philosophie et la liberté. Pour lui le code source d’un logiciel doit TOUJOURS rester ouvert au risque d’assujettir ses utilisateurs. Ce n’est pas seulement sa liberté qui est importante pour lui mais celle de tous !

Richard Stallman pratique l’humour avec brio pour se faire comprendre et n’hésite pas à utiliser des déguisements excentriques comme celui de Saint IGNUcius de l’église d’Emacs pour exorciser les systèmes d’exploitation d’un ordinateur ou d’un serveur. Il est toujours prêt à défendre ses idées de liberté et la philosophie du logiciel libre devant un micro. Il n’hésite pas non plus à alerter la population du danger du code source fermé et notamment des accords d’espionnages des individus passés secrètement par les grosses firmes du numérique avec la NSA.
La FSF et les logiciels libres vs les logiciels open source
Avec la FSF, il a créé les moyens juridiques de sortir les logiciels libres du giron de l’appropriation privée. Le code source des logiciels libres étant ouvert, diffusé et accessible par tous, les informaticiens bien intentionnés peuvent vérifier le code source de n’importe quel logiciel libre pour chercher tout ce qui peut nous nuire. Encore mieux, si le logiciel tel qu’il est fait ne leur plaît pas, ils ont la liberté de modifier ce code source et de faire une nouvelle version de ce logiciel qu’ils peuvent ensuite rediffuser. Toutefois, ils sont obligés de garder la licence ouverte du logiciel libre sur leur nouvelle version. Et c’est là que se trouve toute la différence entre « logiciel libre » et logiciel « open source ». Les licences open source, suivant sa déclinaison, peuvent autoriser de faire des logiciels propriétaires et fermés à partir de la source de leur logiciel.
Ce qui est le cas du noyau Linux, par exemple. Il est seulement en « open source » et ne contraint pas les développeurs avec une licence ouverte (copyleft) comme par exemple la licence GPL imaginée par Richard Stallman et son ami juriste Eben Moglen. GNU/Linux est présent dans beaucoup de distribution Linux avec une licence totalement ouverte mais Linux est également présent dans des systèmes créés avec une licence qui permet la fermeture du code. Android par exemple en fait partie. Le célèbre système d’exploitation qui est utilisé sur la majorité des smartphones et des tablettes dans le monde est basé sur Linux mais ses modifications ont été réalisées avec la licence Apache ASL. Ceci a pour conséquence d’autoriser des couches supérieures en source fermée, des briques opaques qui ne peuvent pas être vérifiées par le grand public, les développeurs ou les utilisateurs finaux.
« Le téléphone portable, c’est le rêve de Staline devenu réalité »
C’est dans ces termes que Richard Stallman s’est adressé aux journalistes d’Usbek et Rica en mai 2017. Il a voulu nous mettre en garde sur la surveillance généralisée dont nous sommes victimes. Il a notamment alerté que le modem des téléphones portables est directement connecté au micro et à la caméra et que le code source du logiciel qui en permet sa gestion est systématiquement fermé. Ceci implique que le son et les images captés par le téléphone peuvent potentiellement être envoyés sur Internet, à notre insu, sans même que nous nous en rendions compte et ce, de façon permanente ! Et vu que le code source de ce logiciel n’est pas ouvert, il n’y a absolument aucun moyen de vérifier ce qui est fait. Nous sommes obligés de faire confiance aux constructeurs américains, chinois ou autre qui, comme l’a révélé Edward Snowden en 2013 au péril de sa vie, sont tous assujettis aux services d’espionnage de leur pays (cf. USA PATRIOT Act). Autant dire que nous ne pouvons pas leur faire confiance.
Et ces engins, les smartphones, sont aujourd’hui entre toutes les mains, même les plus jeunes. Nous pouvons donc maintenant aisément comprendre la phrase de Richard Stallman ; le rêve de tout bon dictateur est de pouvoir espionner tous les individus de son peuple. Incarné par Staline ou par un groupe de personnes qui veulent soit-disant votre bien, vous êtes espionnés en permanence et gare aux écarts de pensée. Encore une fois la liberté du logiciel est intrinsèquement liée à la nôtre. Nous devons trouver les moyens de nous défaire de ces chaînes et ceci ne peut passer que par des logiciels et du matériel libres.
L’ombre de l’affaire Epstein
En 2019 les remous de l’affaire Epstein éclaboussent plusieurs membres du MIT et notamment Marvin Minsky, mort en 2016 à l’âge de 88 ans. Les tentacules du milliardaire pédophile et trafiquant sexuel avaient infiltré le prestigieux institut. Et Stallman a eu le malheur de défendre la mémoire de son ami défunt dans des échanges internes de courriels qui ont fuité dans des journaux. Ses propos ont été tronqués et déformés dans plusieurs journaux. En France également l’article de 20 minutes ne relate pas du tout les faits de la même façon que l’article du Monde ou celui de Numérama pourtant publiés le même jour. A cause de son franc-parler, de ses positions gauchistes et surtout de ses idées sur la sexualité, RMS n’a pas que des amis, même au sein du MIT. Ses excuses et ses explications n’y ont pas changé grand chose. Le mal était fait et la chasse aux sorcières était lancée. Il démissionne du MIT et de la présidence de la FSF.
Mais comme Richard n’aime pas rester sur une défaite, 18 mois plus tard, une fois que l’affaire s’était un peu tassée, il est revenu postuler à la FSF, son bébé, afin de siéger à nouveau au conseil d’administration et à la tête du projet GNU (cf. article de ars TECHNICA, l’article de Numérama et sa page Wikipédia). La FSF l’a accueilli malgré de nombreux opposants. En effet, il avait également en face de nombreux soutiens. Heureusement certaines personnes savent encore reconnaître les erreurs et le pardon.
L’argent ou les idées
S’il l’avait voulu, RMS aurait pu engranger des milliards. Ses compétences, ses idées révolutionnaires et sa pugnacité le permettait. Mais au lieu de cela RMS a depuis le début choisi le camp de la défense de la liberté. Il est un hackeur jusqu’au bout des ongles et a lutté toute sa vie, se jetant corps et âme, contre les dangers de l’opacité. Il a très tôt donné très généreusement au monde entier les moyens juridiques et techniques de contrebalancer l’appropriation du savoir qui peut, nous l’avons vu plus haut, représenter un véritable danger dans le monde hautement numérique et aux tendances fascistes dans lequel nous vivons.
Je pense qu’il serait dommage de s’arrêter sur des mauvais mots écrits et des mauvaises paroles prononcées. Richard Stallman, âgé de 68 ans, est d’ailleurs revenu là-dessus dans une lettre sur le site de la Free Software Foundation, reconnaissant ses lacunes sociales et sa méconnaissance des violences psychologiques qui peuvent être faites à une jeune personne.
Richard Stallman a choisi la défense de ses idées sur la liberté des logicielles, la préférant à l’argent. Et toute sa vie, il a œuvré dans ce sens pour notre bien à tous. Ayons la décence de lui laisser et de reconnaître au moins ses bonnes idées !
Références et conseils pour aller plus loin :
- Vidéo sur la vie de RMS
- Article « Le téléphone portable, c’est le rêve de Staline devenu réalité » d’Usbek et Rica
- Snowden, film d’Oliver Stone
- Article du Monde sur la démission de Richard Stallman
- Article assassin et mensonger du journal « 20 minutes » sur la démission de Richard Stallman
- Article plus modéré de « Numérama » sur la démission de Richard Stallman
- Article en anglais de « ars TECHNICA » sur le retour de Richard Stallman à la FSF en mars 2021
- Article de Numérama sur le retour de RMS
- Page Wikipédia de Richard Stallman
- Manifeste du hacker
- Lettre d’excuse de RMS sur le site de la FSF
- Site personnel de RMS (en anglais)
- Site de soutien de Richard Stallman (en anglais)